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Ulysse descendant aux Enfers pour consulter l’ombre de Tirésias - L. J. Le Lorrain

Date :
1757
Nature de l'image :
Gravure sur cuivre, eau-forte
Dimensions (HxL cm) :
18,5x36,7 cm
Lieu de conservation :
M-TS-ES-00114

Analyse

Le Lorrain entend restituer d’après l’ekphrasis de Pausanias (Phociques, c’est-à-dire le livre X de la Description de la Grèce, Chapitres 28-31) le tableau de Polygnote qui ornait le Lesché de Delphes.

« XXVIII. [1] A main gauche, on voit un autre tableau du même peintre, dont le sujet est Ulysse qui descend aux enfers pour consulter l’âme de Tirésias sur les moyens de retourner heureusement dans ses états. Voici quelle est la disposition du tableau. Vous voyez d’abord un fleuve, on juge aisément que c’est l’Achéron ; ses rives sont pleine de joncs, et vous apercevez dans ses eaux des figures de poissons, mais des figures si minces et si légères que vous les prendriez plutôt pour des ombres de poissons que pour des poissons mêmes. Sur le fleuve on voit une barque, et dans cette barque un nautonier qui rame.
[2] Je crois que Polygnote a suivi le poème intitulé La Minyade, où le poète en parlant de Thésée et de Pirithoüs dit que ces héros étant arrivés sur le bord de l’Achéron, il se trouva que le vieux nautonier qui passe les morts dans sa barque était de l’autre côté de l’eau. Car il peint Charon d’un âge avancé, apparemment d’après cette idée.
[3] On ne distingue pas bien qui sont ceux que passe Charon. Le peintre a seulement marqué les noms de deux entre autres. L’un est Tellis, emporté dans sa première jeunesse, et l’autre est Cléoboee encore vierge. Elle a sur ses genoux une corbeille toute semblable à celle que l’on a coutume de porter aux fêtes de Cérès. Tellis ne m’est pas connu ; tout ce que j’en sais, c’est que le poète Archiloque se dit descendu d’un Tellis, et en parle comme de son aïeul. Pour Cléoboee, on tient que ce fut elle qui apporta de l’île de Paros à Thase le culte et les mystères de Cérès.
[4] Sur le bord du fleuve, tout près de la barque de Charon, vous voyez un spectacle bien remarquable. Polygnote nous représente le supplice d’un fils dénaturé qui avait maltraité son père. Sa peine, en l’autre monde, est d’avoir pour bourreau son propre père qui l’étrangle. Les anciens respectaient la qualité de père et de mère bien autrement que l’on ne fait aujourd’hui. Je pourrais en rapporter plusieurs exemples ; mais je me contente d’un seul qui est célèbre. C’est l’exemple de ces citoyens de Catane en Sicile, qui firent une action si pleine de piété qu’ils en furent nommés les pieux enfants. Les flammes du mont Etna ayant gagné la ville, ces généreux enfants comptant pour rien de perdre tout ce qu’ils pouvaient avoir d’or et d’argent, ne songèrent qu’à sauver ceux qui leur avaient donné le jour ; l’un prit son père sur les épaules, l’autre sa mère. Quelque diligence qu’ils fissent, ils ne purent éviter d’être coupés par l’embrasement ; mais ils ne s’en mirent pas moins en devoir de continuer leur chemin sans vouloir abandonner leur fardeau. On dit qu’alors les flammes s’étant divisées, leur laissèrent le passage libre au milieu, et que les pères et les enfants sortirent heureusement de la ville.
[5] Ce qui est de certain, c’est qu’encore aujourd’hui à Catane, on rend de grands honneurs à la mémoire de ces illustres citoyens. Auprès de ce fils dénaturé est un impie qui avait pillé les temples des dieux. Il a à côté de lui une femme qui semble préparer toute sorte de poisons pour son supplice.
[6] La religion avait alors sur les hommes beaucoup plus d’emprise qu’elle n’en a actuellement. Témoin la conduite des Athéniens, qui s’étant rendus maîtres du temple de Jupiter Olympien à Syracuse, ne voulurent s’approprier aucune des offrandes faites au Dieu, et laissèrent paisible dans le temple le prêtre qui les gardait. Témoin aussi le Mède Datis, qui par des effets, encore plus que par ses discours, témoigna son respect pour les dieux ; car ayant trouvé une statue d’Apollon sur un vaisseau phénicien, il la donna à des gens de Tanagra pour la reporter à Delium. Telles étaient les moeurs de cet ancien temps ; les hommes pleins de religion craignaient et respectaient les dieux. C’est pourquoi Polygnote dans son tableau des enfers a dépeint le supplice d’un impie.
[7] Au-dessus de ces figures, vous voyez Eurynome, que les interprètes des mystères à Delphes mettent au nombre des dieux infernaux. Son emploi selon eux est de manger les chairs des morts, en sorte qu’il n’en reste rien que les os. Mais ni l’Odyssée d’Homère, ni la Minyade, ni le poème intitulé le Retour des enfers, qui sont les livres où il est le plus parlé de ces lieux souterrains et de ce qu’ils renferment de terrible, ne font aucune mention de cet Eurynome. Il faut néanmoins que je dise de quelle manière le peintre l’a représenté. Son visage est de couleur entre noire et bleue, comme celle de ces mouches qui sont attirées par la viande ; il grince des dents, et il est assis sur une peau de vautour.
[8] Immédiatement après le démon Eurynome, on voit deux Arcadiennes, Augé et Iphimédée. Augé vint chez Teuthras en Mysie ; et de toutes les femmes avec qui Hercule eut commerce, ce fut celle dont il eut un fils qui lui ressembla le plus. Pour Iphimédée, elle reçut de grands honneurs à Mylasses, ville de Carie.
XXIX. [1] Plus haut ce sont les compagnons d’Ulysse, Périmède et Euryloque, qui apportent des victimes pour le sacrifice. Ces victimes sont des béliers noirs. On voit ensuite un homme assis, l’inscription le nomme Ocnus, il fait une corde avec du jonc, et une ânesse qui est auprès mange cette corde à mesure. On dit que cet Ocnus était un homme laborieux, qui avait une femme fort peu ménagère, de sorte que tout ce qu’il pouvait gagner se trouvait aussitôt dépensé.
[2] Et voilà, dit-on, ce que Polygnote a voulu faire entendre par cette ânesse qui rend inutile tout le travail du cordier. Je sais pour moi qu’encore aujourd’hui en Ionie, pour dire que c’est bien de la peine perdue, on dit par manière de proverbe que c’est la corde d’Ocnus. Au reste, il y a aussi un oiseau que l’on nomme Ocnus, il est fort connu des devins qui tirent des augures du vol des oiseaux. C’est une espèce de héron fort beau et fort grand ; mais il est très rare.
[3] Tityus que l’on voit après, à force de souffrances semble ne plus souffrir ; son corps est tout desséché et n’est plus qu’un fantôme. Pour aller de suite après Ocnus, la première figure qui se présente est Ariadne. Elle est assise sur une roche, et elle jette les yeux sur Phèdre sa soeur, qui élevée de terre et suspendue à une corde qu’elle tient des deux mains, semble se balancer dans les airs ; c’est ainsi que le peintre a voulu couvrir le genre de mort dont on dit que la malheureuse Phèdre finit ses jours.
[4] Quant à Ariadne, soit hasard soit dessein prémédité, il est certain que Bacchus qui faisait voile avec de plus grandes forces que Thésée, lui enleva cette princesse. Et si je ne me trompe, c’est le même Bacchus qui le premier poussa ses conquêtes jusques dans les Indes et qui jeta le premier un pont sur l’Euphrate, à l’endroit où depuis on a bâti une ville, qui pour conserver la mémoire de cet événement a été appelée Zeugma. On y voit encore un câble fait de sarment et de rameaux de lierre, dont on dit que Bacchus se servit pour attacher son pont aux deux rives du fleuve. Les Grecs et les Egyptiens ont beaucoup parlé de ce Bacchus.
[5] Au-dessous de Phèdre, vous voyez Chloris qui est couchée sur les genoux de Thyia. On peut croire que ces deux femmes s’étaient fort aimées de leur vivant. Chloris était d’Orchomène en Béotie. On dit que Neptune eut les bonnes grâces de Thyia et que Chloris fut mariée à Néléus fils de Neptune.
[6] A côté de Thyia, c’est Procrys fille d’Erechthée, et après elle Clymène qui semble lui tourner le dos. Dans le poème qui a pour titre Le retour des enfers, il est dit que Clymène était fille de Minyas et femme de Céphale fils de Déïon, qui en eut Iphiclus. A l’égard de Procrys, tout le monde sait que Céphale l’avait épousée avant Clymène, et l’on sait aussi de quelle manière elle fut tuée par son mari.
[7] A la droite de Clymène, on voit Mégara, elle était Thébaine et femme d’Hercule ; ayant perdu tous les enfants qu’il avait d’elle et croyant l’avoir épousée sous de malheureux auspices, il la répudia. Une des principales figures, c’est la fille de Salmonée qui paraît au-dessus de toutes ces femmes, assise sur un rocher. Eriphyle qui est debout à côté d’elle passe ses doigts par-dessous sa tunique, et les porte à son col, comme pour cacher ce collier dont il est tant parlé dans les poèmes.
[8] Au-dessus d’Eriphyle, Polygnote a représenté Elpénor et ensuite Ulysse qui ploie les genoux sur le bord d’une fosse tenant son épée à la main. Le devin Tirésias arrive par cette fosse, il est suivi d’Anticlée la mère d’Ulysse, qui s’assied sur une pierre. Elpénor à la manière des matelots paraît vêtu d’une espèce de chemisette tissue de poils de bouc.
[9] Plus bas au-dessous d’Ulysse, Thésée et Pirithoüs sont assis sur des sièges. Thésée tient de ses deux mains l’épée de Pirithoüs et la sienne. Pirithoüs a les yeux sur ces deux épées, il semble être au désespoir de les voir inutiles pour l’entreprise qu’ils avaient projetée. Panyasis dit quelque part dans ses vers que ni Thésée ni Pirithoüs n’étaient représentés assis comme captifs, mais parce que leur peau s’était collée à la pierre qui leur servait de siège.
[10] Homère a assez marqué dans l’Iliade et dans l’Odyssée, l’amitié qui était entre ces deux héros, car il ne nomme presque jamais l’un sans l’autre. Ulysse racontant au roi des Phéaciens son voyage aux enfers : J’aurais pu voir encore ces illustres descendants des dieux, Thésée et Pirithoüs, et je le souhaitais passionnément. Nestor, dans le premier livre de l’Iliade, voulant réconcilier Agamemnon et Achille, leur parle de plusieurs grands personnages qu’il avait vus dans sa jeunesse, et qui quoique ses anciens ne laissaient pas de déférer à ses avis, et il cite entre autres Pirithoüs et Thésée.
XXX. [1] On voit ensuite les filles de Pandare. Pénélope nous apprend dans Homère qu’elles perdirent leur père et leur mère par un effet du courroux des dieux, et qu’étant demeurées orphelines, Vénus elle-même prit soin de leur éducation. Les autres déesses les comblèrent de faveurs comme à l’envi. Junon leur donna la sagesse et la beauté, Diane y ajouta l’avantage de la taille, Minerve leur apprit à faire toutes les sortes d’ouvrages qui conviennent à des femmes.
[2] Et quand elles furent nubiles, Vénus remonta au ciel pour prier Jupiter de leur accorder un heureux mariage. Mais en l’absence de Vénus, les Harpyes enlevèrent ces princesses et les livrèrent aux Furies. Voilà ce que Pénélope en dit dans l’Odyssée. Elles sont couronnées de fleurs dans le tableau de Polygnote et elles jouent aux dés ; on les nommait Camiro et Clytie. Il est certain que Pandare leur père était de Milet ville de Crète, et qu’il fut complice non seulement du vol sacrilège de Tantale, mais aussi du serment qu’il fit pour couvrir son crime.
[3] Après elles vous voyez Antiloque ; il a le pied sur une pierre, et il appuie sa tête et son visage contre ses deux mains. Agamemnon est auprès de lui, appuyé sur son sceptre, il tient un bâton de commandement à la main. Protésilas assis regarde Achille, et Patrocle est debout au-dessus d’Achille ; ils sont tous sans barbe, excepté Agamemnon.
[4] Plus haut, c’est le jeune Phocus, il a une bague à un des doigts de la main gauche. Iaséüs qui est auprès et qui, à sa barbe, paraît plus âgé, lui tire cette bague du doigt ; c’est ce qu’il faut expliquer. Phocus fils d’Eaque, passa de l’île d’Egine dans cette contrée que l’on nomme aujourd’hui la Phocide et il y établit sa domination. Iaséüs lia une étroite amitié avec ce prince, il le combla de présents et lui donna entre autres choses une bague de prix ; c’était une pierre gravée et enchâssée dans de l’or. Peu de temps après, Phocus repassa en l’île d’Egine, où Pélée lui dressa des embûches et le fit périr. Iaséüs semble donc reconnaître son ami à la bague qu’il a au doigt, et Phocus lui laisse prendre sa bague pour faciliter la reconnaissance.
[5] Au-dessus de ces deux figures est Méra, assise sur une pierre. Dans ces poésies intitulées Le retour des enfers, on lit que Méra mourut étant encore vierge, et qu’elle était fille de Proetus fils de Thersandre et petit-fils de Sisyphe. La figure la plus proche est Actéon fils d’Aristée ; sa mère est auprès. Ils tiennent un faon de biche et sont assis sur une peau de cerf ; un chien de chasse est couché à leurs pieds : ce sont autant de symboles qui ont du rapport à la vie d’Actéon et à la manière dont il mourut.
[6] Au bas du tableau, derrière Patrocle, vous voyez Orphée ; il paraît assis sur une éminence, il est appuyé contre un arbre, tenant sa lyre de la main gauche, et des branches de saule de la main droite. Il semble que Polygnote ait voulu représenter ce bois sacré de Proserpine dont parle Homère, et qui était rempli de saules et de peupliers. Orphée est habillé à la grecque ; il n’y a rien dans ses vêtements ni sur sa tête qui sente le Thrace.
[7] Promédon est appuyé de l’autre côté de l’arbre. Quelques-uns croient que ce Promédon est un personnage purement imaginé par le peintre. D’autres disent que c’était un Grec passionné pour la musique en général, et particulièrement pour les airs d’Orphée.
[8] Du même côté on voit Schédius, qui commandait les Phocéens au siège de Troie. Après lui, c’est Pélias, assis sur un siège ; il a la barbe et les cheveux tout blancs, et il arrête ses yeux sur Orphée. Schédius tient un poignard, et il a une couronne d’herbes champêtres sur la tête. Thamyris est assis auprès de Pélias. On voit qu’il a eu le malheur de perdre la vue : son air triste et abattu, sa barbe et ses cheveux négligés, tout annonce son affliction. Il a jeté sa lyre à ses pieds ; elle est toute fracassée, et les cordes en sont rompues.
[9] Au-dessus de lui, Marsyas est assis sur une pierre. Un jeune enfant est auprès, qui apprend à jouer de la flûte ; c’est Olympus. Les Phrygiens qui habitent Célènes disent que le fleuve qui passe par leur ville et que l’on nomme Marsyas était autrefois un célèbre joueur de flûte. Ils ajoutent que ce fut lui qui inventa ces airs de flûte qui se jouent dans les solennités de la mère des dieux ; et si nous les en croyons, ce fleuve les défendit contre l’invasion des Gaulois, qu’il intimida par ses airs phrygiens et par le débordement de ses eaux.
XXXI. [1] Si vous jetez les yeux au haut du tableau, vous y verrez Ajax de Salamine près d’Actéon, ensuite Palamède et Thersite qui jouent ensemble aux dés, jeu que l’on croit avoir été inventé par Palamède même. Ajax fils d’Oïlée les regarde ; celui-ci a la pâleur d’un homme qui a fait naufrage, et il est encore tout couvert d’écume, comme s’il sortait des flots.
[2] Le peintre semble avoir voulu rassembler en un même lieu tous les ennemis d’Ulysse. Car Ajax fils d’Oïlée le haïssait mortellement, parce qu’après le viol de Cassandre il avait conseillé aux Grecs de le lapider. Pour Palamède, j’ai lu dans les Cypriaques qu’étant allé un jour pêcher sur le bord de la mer, Ulysse et Diomède le poussèrent dans l’eau et furent cause de sa mort.
[3] Un peu au-dessus d’Ajax on voit Méléagre fils d’Oenéus, il paraît avoir les yeux sur Ajax. De tous ces personnages Palamède est le seul qui n’ait point de barbe. Quant à Méléagre, Homère dit que les Furies avancèrent la fin de ses jours, à cause des imprécations qu’Althée avait faites contre lui. Mais le poème des Femmes illustres, et l’auteur de la Minyade, rapportent l’un et l’autre qu’Apollon prit le parti des Curètes contre les Etoliens, et que dans cette guerre Méléagre fut tué de la propre main d’Apollon.
[4] Car pour la fable de ce tison fatal donné par les Parques à Althée, de la durée duquel dépendait la vie de Méléagre, et que sa mère irritée contre lui alluma elle-même, c’est Phrynicus fils de Polyphradmon, qui l’a débitée le premier dans sa pièce intitulée Pleuron : Méléagre ne put éviter la mort. Sa cruelle mère mit le feu au tison fatal, et du même feu son malheureux fils se sentit consumer. Il faut pourtant dire le vrai ; Phrynichus ne s’étend pas sur cet événement, comme tout poète a coutume de faire sur une idée qu’il imagine et qu’il veut rendre croyable. Mais il dit simplement le fait, comme si c’eut été une chose connue de toute la Grèce.
[5] Au bas du tableau, près du Thrace Thamyris on voit Hector assis. Il tient son genou gauche avec ses deux mains, et il paraît accablé de tristesse. Après lui c’est Memnon assis sur une pierre, il est suivi de Sarpédon qui appuie sa tête contre ses mains ; Memnon a une des siennes sur l’épaule de Sarpédon : ils ont tous une grande barbe.
[6] Le peintre a représenté sur le manteau de Memnon des oiseaux, qui ne sont point appelés autrement que les oiseaux de Memnon. Ceux qui habitent les côtes de l’Hellespont disent que tous les ans, à jour préfixé, ces oiseaux viennent balayer un certain espace du tombeau de Memnon, où l’on ne laisse croître ni arbre ni herbe, et qu’ensuite ils l’arrosent avec leurs ailes qu’ils vont exprès tremper dans l’eau du fleuve Esépus.
[7] Auprès de Memnon il y a un esclave éthiopien, pour marquer que Memnon était roi d’Ethiopie. Il vient néanmoins au secours des Troyens, non du fond de l’Ethiopie mais de la ville de Suse en Perse, et des bords du fleuve Choaspès, après avoir soumis à son empire toutes les nations qui étaient entre deux. Les Phrygiens montrent encore aujourd’hui la route qu’il tint, ses marches et ses divers campements.
[8] Au-dessus de Sarpédon et de Memnon, Polygnote a représenté Pâris, jeune encore et sans barbe ; il bat des mains d’une manière assez rustique, et par ce bruit il semble inviter Penthésilée à approcher. Penthésilée le regarde, mais on juge à son air qu’elle n’a que du mépris pour lui. Sa figure est d’une jeune vierge ; elle tient un arc tout semblable à ceux des Scythes et une peau de léopard lui couvre les épaules.
[9] Plus haut, ce sont deux femmes qui portent de l’eau dans des cruches cassées, en sorte que l’eau se perd. L’une de ces femmes paraît encore jeune ; l’autre est d’un âge plus avancé. Une inscription commune à l’une et à l’autre témoigne qu’elles avaient négligé de se faire initier aux mystères de Cérès.
[10] Plus haut encore on voit Callisto fille de Lycaon, la nymphe Nomia, et Péro fille de Néléus, lequel en la mariant demanda les boeufs d’Iphiclus pour le présent des épousailles. Une peau d’ours sert de tapis à Callisto, qui a ses pieds sur les genoux de Nomia. J’ai déjà dit que, suivant la tradition des Arcadiens, Nomia était une nymphe originaire d’Arcadie. Les nymphes, si nous en croyons les poètes, vivent très longtemps mais elles ne sont pas immortelles. Après Callisto et les femmes qui sont avec elle, vous voyez un rocher fort escarpé : Sisyphe fils d’Eole s’efforce de monter jusqu’au haut en roulant devant lui une grosse pierre qui retombe sans cesse.
[11] On voit aussi là un tonneau et un groupe de figures composé d’un vieillard, d’un enfant et de plusieurs femmes qui sont sur une roche. Une de ces femmes est auprès du vieillard et paraît fort âgée. Plusieurs portent de l’eau, la vieille verse dans le tonneau le peu d’eau que sa cruche qui est cassée peut contenir. Je crois que le peintre a voulu exprimer le supplice de ceux qui méprisent les mystères de Cérès d’Eleusis. Car de tous les mystères, c’étaient ceux que les anciens Grecs respectaient davantage, et avec d’autant plus de raison que les dieux sont au-dessus des héros.
[12] Un peu plus bas on voit Tantale au milieu des tourments décrits par Homère. Il y a de plus une roche qui paraît toute prête à tomber sur lui et qui le tient dans un effroi continuel ; c’est une idée que Polygnote a empruntée des poésies d’Archiloque. Je ne sais pas si Archiloque en a été l’inventeur, ou s’il l’a prise de quelqu’autre poète. Voilà ce que contiennent les deux beaux tableaux du peintre de Thasos. »

Annotations :

1. Signé et daté en bas à gauche, sur une pierre, « Le Lorrain | 1757 ».
Sous la gravure à gauche : « Dessiné et gravé par le Lorrain ».
Légende en bas au centre : « SECOND TABLEAU | LA DESCENTE D’ULYSSE AUX ENFERS | Pour consulter l’ame de Tyresias. | Pausanias Phoc. »
[Phoc. pour Phociques, qui désigne le livre X de la Périégèsis de Pausanias.]

3. Autre exemplaire au Cabinet des Estampes de la Bnf, AA3 Le Lorrain.

Sources textuelles :
Pausanias, Description de la Grèce
Livre X, chap. 28-31

Informations techniques

Notice #010196

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Identifiant historique :
A9515
Traitement de l'image :
Image web
Localisation de la reproduction :
Limedia Galeries (https://galeries.limedia.fr)
Bibliographie :
G. Faroult, G. Scherf, Ch. Leribault &alii, L’Antiquité rêvée, Gallimard, 2010
n° 28, p. 161