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La résurrection de Lazare - atelier de Deshays

Attribution incertaine
Date :
1763
Date incertaine
Nature de l'image :
Peinture sur toile
Dimensions (HxL cm) :
64x52,7 cm
Lieu de conservation :

Analyse

Commentaire de Diderot :

« Mais il est temps de revenir Ă  Deshays. Il y a une RĂ©surrection du Lazare, sans numĂ©ro et sans nom d’artiste, qu’on lui attribue et qui est certainement de lui.
On voit Ă  droite le tombeau. Le ressuscitĂ© en sort debout, la tĂȘte dĂ©couverte. Il tend vers le Dieu qui lui a rendu la vie ses bras encore embarrassĂ©s de son linceul. Son visage est l’image de la mort que les traits de la joie et de la reconnaissance viennent d’animer. Ses parents, penchĂ©s vers lui, lui tendent les bras d’un endroit Ă©levĂ© oĂč ils sont placĂ©s ; ils sont transportĂ©s d’étonnement et de joie. L’artiste a prosternĂ© les deux sƓurs aux pieds du Christ  : l’une adore, le visage contre terre ; l’autre a vu le prodige. L’expression, la draperie, le caractĂšre de tĂȘte et toute la maniĂšre de celle-lĂ  est du Poussin  ; celle-ci est aussi fort belle. Les apĂŽtres s’entretiennent Ă  quelque distance derriĂšre le Christ. Ils ne sont pas aussi fortement affectĂ©s que le reste des assistants : ils sont faits Ă  ces tours-lĂ .
Le Christ est debout, au-dessus des femmes, Ă  peu prĂšs Ă©galement Ă©loignĂ© des apĂŽtres et du tombeau. Il a l’air d’un sorcier en mauvaise humeur, je ne sais pourquoi, car son affaire lui a rĂ©ussi. VoilĂ  le principal dĂ©faut de ce tableau, auquel on peut encore reprocher une couleur un peu crue, comme dans le Mariage de la Vierge, plus forte que vraie.
Mais dites-moi donc, mon ami, pourquoi ce Christ est plat dans presque toutes les compositions de peinture  ? Est-ce une physionomie traditionnelle dont il ne soit pas possible de s’écarter, et Rubens a-t-il eu tort dans son ÉlĂ©vation de la croix de lui donner un caractĂšre grand et noble  ?
Dites-moi aussi pourquoi tous les ressuscitĂ©s sont hideux  ? Il me semble qu’il vaudrait autant ne pas faire les choses Ă  demi, et qu’il n’en coĂ»terait pas plus de rendre la santĂ© avec la vie. Voyez-moi un peu ce Lazare de Deshays  ; je vous assure qu’il lui faudra plus de six mois pour se refaire de sa rĂ©surrection.
Sans plaisanter, ce morceau n’est pas sans effet ; les groupes en sont bien distribuĂ©s ; le Lazare avec son linceul est peint largement. Cependant je ne vous conseillerais pas de l’opposer Ă  celui de Rembrandt ou de Jouvenet. Si vous voulez ĂȘtre Ă©tonnĂ©, allez Ă  Saint-Martin-des-Champs voir le mĂȘme sujet traitĂ© par Jouvenet. Quelle vie  ! quels regards  ! quelle force d’expression  ! quelle joie  ! quelle reconnaissance  ! Un assistant lĂšve le voile qui couvrait cette tĂȘte Ă©tonnante et vous la montre subitement. Quelle diffĂ©rence encore entre ces amis qui tendent les mains au ressuscitĂ© de Deshays et cet homme prosternĂ© qui Ă©claire avec un flambeau la scĂšne de Jouvenet  ! Quand on l’a vu une fois, on ne l’oublie jamais. L’idĂ©e de Deshays n’est pourtant pas sans mĂ©rite, non  ; son tableau est petit, mais la maniĂšre en est grande.
Mais que penseriez-vous de moi, si j’osais vous dire que toutes ces tĂȘtes de ressuscitĂ©s, belles sans doute et du plus grand effet, sont fausses ? Patience, Ă©coutez-moi. Est-ce qu’un homme sait qu’il est mort ? Est-ce qu’il sait qu’il est ressuscité  ? Je m’en rapporte Ă  vous, marquis de la vallĂ©e de Josaphat, chevalier sans peur de la rĂ©surrection, illustre Montamy, vous qui avez calculĂ© gĂ©omĂ©triquement la place qu’il faudra Ă  tout le monde au grand jour du jugement, et qui, Ă  l’exemple de Notre-Seigneur entre les deux larrons, aurez la bontĂ© de placer dans ce moment critique Ă  votre droite Grimm l’hĂ©rĂ©tique et Ă  votre gauche Diderot le mĂ©crĂ©ant, afin de nous faire passer en paradis comme les grands seigneurs font passer la contrebande dans leurs carrosses aux barriĂšres de Paris  ; illustre Montamy, je m’en rapporte Ă  vous  : n’est-il pas vrai que de tous ceux qui assistent Ă  une rĂ©surrection, le ressuscitĂ© est un des mieux autorisĂ©s Ă  n’y pas croire  ? Pourquoi donc cet Ă©tonnement, ces marques de sensibilitĂ© et tous ces signes caractĂ©ristiques de la connaissance de l’état qui a prĂ©cĂ©dĂ© et du bienfait rendu que les peintres ne manquent jamais de donner Ă  leurs ressuscitĂ©s  ? La seule expression vraie qu’ils puissent avoir est celle d’un homme qui sort d’un profond sommeil ou d’une longue dĂ©faillance. Si l’on rĂ©pand sur son visage quelque vestige lĂ©ger de plaisir, c’est de respirer la douceur de l’air, c’est de retrouver la lumiĂšre du jour. Mais suivez cette idĂ©e, et les dĂ©tails vous en feront bientĂŽt sentir toute la vĂ©ritĂ©. Ne voyez-vous pas combien cette action faible et vague du ressuscitĂ©, portĂ©e vers le ciel et distraite des assistants, rendra la joie et l’étonnement de ceux-ci Ă©nergiques  ? Il ne les voit pas, il ne les entend pas  ; il a la bouche entrouverte, il respire, il rouvre ses yeux Ă  la lumiĂšre, il la cherche  : cependant les autres sont comme pĂ©trifiĂ©s.
J’ai une RĂ©surrection du Lazare toute nouvelle dans ma tĂȘte ; qu’on m’amĂšne un grand maĂźtre, et nous verrons. N’est-il pas Ă©tonnant qu’entre tant de tĂ©moins du prodige, il ne s’en trouve pas un qui tourne ses regards attentifs et rĂ©flĂ©chis sur celui qui l’a opĂ©rĂ©, et qui ait l’air de dire en lui-mĂȘme : « Quel diable d’homme est-ce là  ! Celui qui peut rendre la vie peut aussi facilement donner la mort... »
Pas un qui se soit avisĂ© de faire pleurer de joie une des sƓurs du ressuscitĂ© ; pas un des parents qui tombe en faiblesse. Qu’on m’amĂšne incessamment un grand maĂźtre, et s’il rĂ©pond Ă  ce que je sens, je vous offre une RĂ©surrection plus vraie, plus miraculeuse, plus pathĂ©tique et plus forte qu’aucune de celles que vous ayez encore vues.
En revenant de Saint-Martin-des-Champs n’oubliez pas de faire un tour Ă  Saint-Gervais et d’y voir les deux tableaux du Martyre de saint Gervais et de saint Protais, et quand vous les aurez vus, Ă©levez vos bras vers le ciel et Ă©criez-vous  : Sublime Le Sueur  ! divin Le Sueur  !... Lisez HomĂšre et Virgile, et ne regardez plus de tableaux.  » (Salon de 1763, CFL  V 426-9)

Annotations :

2. Vente Beaussant-LefĂšvre, vendredi 28 juin 2002, lot 56.
La toile présentée hors livret au Salon de 1763 est actuellement en dépÎt au musée de Boston, collection Horwitz.

Sources textuelles :
Évangile de Jean
XI, 1-46 (Bible de Jérusalem, p. 1842)

Informations techniques

Notice #009233

Image HD

Identifiant historique :
A8552
Traitement de l'image :
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