Aller au contenu principal

Le banquet de Didon (Énéide, Strasbourg, 1502) - J. Grüninger > S. Brant

Notice précédente Notice n°26 sur 116 Notice suivante

Date :
1502
Nature de l'image :
Gravure sur bois
Lieu de conservation :
Cod. Heid. 370,319 (Signatur/Shelfmark UB)

Analyse

At domus interior regali splendida luxu
instruitur, mediisque parant convivia tectis :
arte laboratae vestes ostroque superbo,
ingens argentum mensis, acelataque in auro (637-640)

[On décore l'intérieur de la demeure qui resplendit d'un luxe royal ; sous les lambris de la grand'salle un banquet se prépare : couvertures savamment travaillées, pourpre superbe, lourde argenterie sur les tables et, ciselés dans l'or…]

On entre dans l'image depuis le haut à gauche, avec le vrai et le faux Ascagne. Ascagne, depuis le navire troyen, tend vers Achate, qui arrive de Carthage, la double couronne d'Ilioné (et duplicem gemmis auroque coronam, 655) qui doit être offerte à Didon. Au-dessus d'eux, Vénus ailée amène Cupidon qui, sous les traits d'Ascagne doit s'introduire dans le banquet. Le phylactère portant le nom d'Ascagne est redoublé. Vénus et Cupidon sont placés entre Achate et le véritable Ascagne, dont ils interceptent en quelque sorte la liaison et court-circuitent le commerce : « Et déjà, obéissant à sa mère, l'Amour, sous la conduite d'Achate, allait allègrement porter aux Tyriens les cadeaux royaux » (695-6).
La partie droite de la gravure est occupée par le banquet proprement dit, et même plus précisément par la fin du banquet qui est aussi la fin du livre I, quand, les convives ayant achevé de manger, on procède aux libations (723sq).
Didon, assise au centre de la table avec Énée à sa droite, passe une coupe emplie de vin à son voisin de gauche Bitias (738), puis l'aède Iopas représenté de trois quarts au premier plan à droite, une lyre à la main, commence son chant (740). A sa gauche, complètement de dos, l'illustrateur a ajouté un musicien touchant du luth. Au bout de la table est représenté Cupidon sous les traits d'Ascagne, portant des ailes et tenant un soufflet pour attiser la flamme de l'amour : l'illustrateur extrapole à partir d'une formule plus banale de Vigile, ardescitque tuendo Phoenissa, 713-4, et la Phénicienne brûle en regardant. Si elle brûle, c'est que Cupidon a attisé son feu…

La salle du banquet est ouverte sur l'extérieur et communique avec lui, derrière le vaisselier flamand où sont entreposés les hanaps. Mais il n'y a pas de continuité territoriale : la mer et les rochers de la plage lèchent le bas du vaisselier… l'illustrateur juxtapose des territoires qui font système logiquement, mais ne s'articulent pas spatialement. Iopas même, le musicien et Cupidon tenant un soufflet ne sont pas à proprement parler inscrits dans la salle du banquet, mais pour ainsi dire presque placés dehors et devant : une ligne au sol démarque leur territoire de celui des convives.
C'est que Iopas en commençant à chanter prélude au temps qui suit le banquet proprement dit, temps du récit de l'aède que va occuper Énée au livre II.

Il y a donc dans cette gravure trois territoires correspondant à trois temps du récit, la substitution d'Ascagne en haut à gauche, la libation qui clôt le banquet au milieu à droite, et le chant de Iopas qui prépare le livre II au premier plan. Ce caractère ternaire du système territorial est en quelque sorte indiqué par la représentation en triptyque des parois du fond : à gauche, l'arrivée volante de Vénus et d'Ascagne depuis le mur qui manque au dessus du vaisselier ; au centre une colonne soutenant le plafond de la salle du banquet passe entre Énée et Didon, à droite une fenêtre est placée au dessus de Bitias sur le mur latéral.

Le triptyque est la grande forme gothique de la représentation, avant le tableau de chevalet. Il permet d'organiser la perspective à partir de trois lignes de fuite, et fait émerger la nouvelle logique visuelle de la Renaissance depuis le système des territoires, qui n'est plus tout à fait un système grammatical, mais n'est pas encore le système visuel à perspective linéaire unifiée que va imposer l'Italie.

Annotations :

2. Folio CLI recto.

Sources textuelles :
Virgile, Énéide, Livre 01 (Tempête, Arrivée à Carthage, Accueil de Didon)
v. 636-640

Informations techniques

Notice #008149

Image HD

Identifiant historique :
A7468
Traitement de l'image :
Image web