Aller au contenu principal

Didon reçoit les Troyens devant le temple de Junon (Énéide, Strasbourg, 1502) - J. Grüninger > S. Brant

Notice précédente Notice n°24 sur 116 Notice suivante

Date :
1502
Nature de l'image :
Gravure sur bois
Lieu de conservation :
Cod. Heid. 370,319 (Signatur/Shelfmark UB)

Analyse

Haec dum Dardanio Aeneae miranda videntur,
Dum stupet obtutuque haeret defixus in uno,
Regina ad templum, forma pulcherrima Dido,
Incessit, magna iuvenum stipante caterva.
Qualis in Eurotae ripis aut per iuga Cynthi
Exercet Diana choros, quam mille secutae
Hinc atque hinc glomerantur Oreades ; illa pharetram (494-500)

[Tandis que ces merveilles s'offrent aux yeux du Dardanien Énée, qu'il est immobile d'étonnement, absorbé dans cette seule contemplation, la reine Didon, éclatante de beauté, s'avançait vers le temple, escortée par toute une troupe en armes. C'est ainsi que, sur les rives de l'Eurotas ou les hauteurs du Cynthe, Diane anime ses chœurs ; à sa suite viennent l'entourer de toutes parts mille nymphes des montagnes. Elle-même, qui marche le carquois à l'épaule… trad. P. Veyne]

Virgile oppose Énée immobile d'étonnement (Dum stupet obtutuque haeret…) à Didon en mouvement (incessit et plus loin gradiensque…). Le graveur semble faire le contraire : Didon assise dans son temple est déjà là, tandis que les Troyens débarquant de la mer s'avancent vers elle. Cette inversion nous alerte sur un fonctionnement particulier de l'image, qui n'illustre pas visuellement un récit, mais représente grammaticalement un discours.

Une nouvelle fois, le graveur dispose quatre groupes aux quatre coins de l'image :
En haut à gauche Énée et ses hommes sont représentés débarquant sur les côtes libyennes et s'avançant les armes à la main vers le temple de Junon. Toujours à gauche, en dessous, un second groupe de Troyens débarque sur le rivage. Les Troyens sont lourdement armés, avec lances et cuirasses. Rien de tel, bien sûr, dans le récit virgilien des actions des Troyens.
En haut à droite, Didon devant le temple de Junon tient sa cour, composée devant elle d'une troupe de jeunes courtisans élégants, glabres et aux chevaux longs, et derrière elle, l'entourant, de conseillers barbus en longs manteaux. En dessous, toujours à droite, le désert aride est figuré par une touffe de chardons.
Les groupes se comprennent différentiellement : globalement, l'arrivée à gauche s'oppose à l'accueil à droite. Ensuite, l'arrivée se fait par terre (en haut) et par mer (en bas). Et l'accueil se présente avec le raffinement de la cour de Carthage (en haut) et avec la menace du désert aride de Libye (en bas).

L'élément central est la troupe compacte des jeunes gens, magna iuvenum stipante caterva (contrairement à P. Veyne, le gravure ne comprend pas cette troupe comme étant en armes). Certains sont tournés vers la reine, d'autres vers les Troyens, l'un d'eux leur fait un signe de la main. Ils peuvent accepter ou refuser l'hospitalité, ils sont l'instance qui fera basculer la décision politique dans un sens ou dans l'autre. En fait, le seul élément proprement visuel de l'image est cette troupe de jeunes gens. Ils sont les sujets de l'image. L'image que conçoit l'illustrateur n'illustre pas ponctuellement le récit virgilien : chez Virgile, il n'y a pas de débarquement direct devant la ville, pas de Troyens en armes, pas d'alternative entre l'accès à la ville ou la mort dans le désert. La décision de l'hospitalité, par l'intervention de Mercure envoyé par Jupiter, est d'emblée acquise.

C'est donc autre chose qui est représenté : non pas directement l'abordage des côtes libyennes, mais le discours des Troyens devant Didon lui demandant l'hospitalité. Car si narrativement cette hospitalité est d'emblée acquise, discursivement elle doit être demandée et demeure suspendue le temps du discours. Pour l'illustrateur, c'est ce suspens que l'image doit représenter : c'est-à-dire que toute la partie droite de l'image ne représente pas géométralement, la côte que les Troyens abordent, mais métaphoriquement l'accueil, les accueils que les Carthaginois peuvent leur réserver : la cour ou les chardons. De la même façon, toute la partie gauche ne se comprend pas littéralement comme l'arrivée des Troyens à Carthage (Virgile ne raconte pas leur arrivée de cette manière) mais se lit comme le contenu du discours d'Ilionée à Didon :

« Nous ne sommes pas venus, les armes à la main, dévaster les foyers des Libyens, ni piller et ramener des proies à nos navires ; pareille violence n'est pas la nôtre, et des vaincus n'ont pas une telle outrecuidance. »

Annotations :

2. Folio CXLV verso.

Sources textuelles :
Virgile, Énéide, Livre 01 (Tempête, Arrivée à Carthage, Accueil de Didon)
v. 494-497

Informations techniques

Notice #008147

Image HD

Identifiant historique :
A7466
Traitement de l'image :
Image web