Aller au contenu principal

Le gîte piégé (Rétif, Nuits de Paris, 1788, t. II) - Sergent

Date :
Entre 1788 et 1789
Nature de l'image :
Gravure sur cuivre
Dimensions (HxL cm) :
12,8x8 cm
Sujet de l'image :
8-Z LE SENNE-5618 (4)

Analyse

« Je me trouvai dans la rue Sainthonoré à 3-heures. Un Falot me voyant errer, s’approcha benignement, ét me dit : — Monsieur me paraît étranger ? Peutêtre Monsieur ne sait-il pas toutes les ressources qu’on trouve dans une Ville comme Paris ? — Quelles ressources me procurerez-vous ? (car je ne tutoyai jamais que mes Amis les plûs intimes ; encore a-t-il falu qu’ils le fussent dès l’enfance). — Si Monsieur veut un lit-de-Garçon, je lui en procurerai un ? — Non. — Monsieur, veut un lit de Mari ? — Un lit de Mari ?… Ma foi… non — Ha ? Monsieur voudrait un lit-de-passade. — oui. (Je repondis oui, parce que j’ignorais la valeur de la proposition.) — Monsieur l’aura : Combien Monsieur mettra-t-il ? Mais, … que faut-il mettre, pour être bien ? — je ferai donner la carte à Monsieur-. J’arrivai à la porte d’une espèce de Gargo[t]e : une Femme qui avait l’emploi de veiller, ét qui dormait le jour, me toisa plusieurs-fois de la tête aux pieds. Elle alait me conduire, sans parler, lorsque le Falot lui dit de me donner la carte. Je le payai, pendant que la Femme ouvrait un livre vert fort-sale, dont elle me montra la page. Je lus donc :
Lit simple, 1 sous : Lit double, matelas, paillasse ét draps, 6 sous. Lit à deux, 12 sous pour le lit : Plûs, suivant la Compagnie ; commune, 24 sous ; avec linge blanc, 36 sous ; choisie, 48 s. ; recherchée, 3 livres ; audessous de seize ans, 6 liv., étlereste.
Je demandai, ce que signifiait , élereste, ét on me le dit. Je demandai, Etlereste. A ce mot, le Falot disparut. La Femme me conduisit à une chambre assés propre, qui me parut ce qu’il y avait de plus magnifique dans la maison : — Dans un-instant, vous alez avoir ce qu’il vous faut -. Je m’assis : J’examinai la chambre, le lit ; je doutai queles draps fussent blancs, ét je me convainquis qu’ils ne l’étaient pas. Mais que m’importait ? Aubout d’un quartd’heure, on ouvrit la porte, ét je vis entrer deux Jéunes personnes, l’Une de 16 à 17 ans, fort-jolie, mais très effrontée, ét l’Atre, de onze à douze environ. — Choisissez, ou prenez-les toutes-deux, en payant d’avance. — Quoi ? une Enfat [!] Quel établissement est ceci ? Qui l’autorise ? — Apprenez (me dit la Garde-nuit) que nous ne sommes pas des Miserables, qui corrompons la Jeunesse : notre Maison est connue ; y vient qui veut : Nous y employons les Filles faites, mais nous ne les fesons pas ! Si vous êtes un Etranger, il faut que vous sachiez que nous sommes des Gens d’honneur… Voyons, choisissez, ou gardez les deux ? — Je les garde. — Payez entre mes mains -. Je crus pouvoir sacrifier douze francs, ét je les donnai avec dix-huit sous pour le lit. La Garde se retira, en nous enfermant à la clef. Je veux sortir de bonneheure ! (lui dis-je). — Dès-à-present, si vous voulez : vous frapperez -. J’oubliais de dire, que pendant tout le temps que la Garde-nuit m’vait parlé, un Inconnu paraissait m’examiner dans le lointain. Cet Homme avait un crayon ; il me dessinait. Je restai avec les deux Filles, qui se comportèrent fort-modestement. Elles se mirent au lit très-vîte, sans m’agacer. Je leur parlai. Je compris qu’elles étaient d’une maison-publique voisine, qui fournissait l’etcetera, ét que tout cet Etablissement était une espèce d’appat tendu, moins pour y prendre le Crime, trop fin pour venir se brûler à la chandelle, que pour le prevenir, et savoir mille petits details qui conduisaient à connaître la verité. Comme j’étais tout observation, j’examinais les moindres choses. Je ne touchai pas aux Filles du bout du doigt : Je restai sur une chaise, ou dan sune espèce de fauteuil, écoutant, en feignant d edormir. J’entendis un petit bruit derrière-moi. J’entr’ouvris l’œil. Quelle fut ma surprise, de voir sous un voeux tableau, une tête d’Homme, puis tout le buste sortir du mur, ét s’alonger dans la chambre ! tâter legèrement sur le lit, ét compter les têtes ! Il ne me voyait pas. Mais après en avoir compté deux, l’Homme m’aperçut assis. Il se retira vivement, ét je n’entendis plus rien. Une demi-heure après, ce fut une autre scène. A-côté d ema chambre en était une, qui n’en était separée que par une cloison de planches : on disputait : la Fille se plaignait ; l’Homme exigeait : enfin ils se battirent. La Fille cria au secours. Je m’approchai, je levai la tapisserie, ét je sentis qu’en poussant un vieux tableau, on avait de quoi passer le buste dans la chambre de mon Voisin. Je vis tout. Mais pendant que j’examinais, sans être remarqué des deux Agens, il m’arriva de regarder en-haut. J’aperçus audessus du lit, le plafond peint derangé ; en-place d’une tête, était le mème Buste d’Homme que j’avais deja vu dans ma chambre. Nous nous regardames en-face. Il fut surpris : moi, je me mis à rire, ét la paix s’étant retablie, d’elle-même, chés nos Voisins, parce que la Fille ceda, je me retirai. Un instant après, j’entrevis encore le Buste dans ma chambre. Je m’étais enveloppé dans le rideau sur mon fauteuil, desorte-qu’il ne m’aercevait pas. Il compta encore les Têtes, ét n’y trouvant pas la mienne, il parut inquiet. Je fis cesser sa perplexité, en lui saisissant l’oreille, que je tirai de toute ma force. Il se replia. J elevai le tableau, à mon tour, ét je vis avec surprise une espèce de Cantine, où trois Hommes paraissaient monter la garde. Ils me virent aussi. J eleur fis une sorte de salutation. Le jour commençait à poindre : la Garde-nuit vint m’ouvrir, ét me dit : — Puisque vous ne vous couchez pas, que vous en dormez pas, à quoi bon venir dans cette maison ? — J’esperais y dormir ; mais vous m’en avez empêché : un Homme a passé la tête par ce trou : un autre Homme a fait un bruit épouvantable par ici. (Je levai l’autre tableau.) Mais quelle fut ma surprise, en voyant les trois Hommes, prendre mojn Voisin le bruyant, ét le lier ! Il fut emmené. La Femme me renvoya. Un Homme me dit en sortant : Il y a longtemps que je vous connais ! » (p. 816-821).

Annotations :

2. Tome II. Planche après page de titre de la Quatrième partie, relative à la Nuit LXXIII, p. 816.
Au verso de la page de titre de la 4e partie, on peut lire, face à la gravure :

« [Filet]
Sujet de la FIGURE de la IV.me Partie :
Le Spectateur-nocturne, dans le Gîte de la rue Jean-Saintdenis, derangeant un vieux Tableau, derrière lequel est une scène de nuit : Au plafond, est une Tête d’Homme, qui l’examine. Une femme entre, qui lui dit :
“Puisque vous ne vous couchez pas... pourquoi venir dans cette maison” !
[Filet]
NOTA. On trouvera toujours la Table, à la fin de la Partie. Il est important d’y avoir recours, pour trouver, d’un coup-d’œil, la suite des recits, dont le denoûment est éloigné du corps de l’anecdote.
[Filet]
On s’est aperçu que, pour ne pas couper les Recits, ou des morceaux importans, on les mettait de-suite, sous la même Nuit, en indiquant les Sections par des lettres majeures, auxquelles on renvoyait dans les Nuits suivantes : On n’a pas suivi cette règle pour le Drame : Mais l’extrême variété qui règne dans les traits rapportés par le SPECTATEUR-NOCTURNE, oblige à prendre toutes les précautions possibles pour la clarté. »

Objets :
Tableau sur le mur
La scène est observée par effraction
Femme étendue sur un lit
Sources textuelles :
Rétif de la Bretonne, Les Nuits de Paris (1788-9)
4e partie, 73e nuit, suite : le gîte, Bouquins, p. 759-760
Sujet de recherche :
F. Tsang-Kwock, Les Nuits de Paris de Rétif, texte et illustration

Informations techniques

Notice #006456

Image HD

Identifiant historique :
A5775
Traitement de l'image :
Image web
Localisation de la reproduction :
https://gallica.bnf.fr