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Suzanne au bain - d’après Giuseppe Cesari

Analyse

Conformément à la tradition iconographique classique, les deux vieillards sont placés du même côté de la toile, et dans un espace différent de celui où se trouve Suzanne. Suzanne dissimule sa nudité aux yeux inquisiteurs des vieillards pervers par l’interposition d’une abondante chevelure, qui lui tient lieu de vêtement. Se dérobant aux regards des vieillards, elle se livre à ceux des spectateurs de la toile, accomplissant à la perfection la contradiction fondatrice du dispositif scénique : le spectateur regarde ce qu’il ne devrait pas voir, Suzanne lui est livrée au moment où elle se soustrait vertueusement à l’œil des vieillards, qui métaphorisent pourtant le spectateur sur la toile.    
L’espace du bain, délimité, circonscrit par la fabrique d’architecture à laquelle Suzanne est adossée, constitue l’espace de la scène proprement dite, ou espace restreint. L’espace restreint est bien l’espace vers lequel convergent les regards, regard pervers des vieillards et regard supposément vertueux du spectateur.    
Derrière la fabrique, sur la droite, l’endroit où se trouvent les vieillards, c’est-à-dire la partie ouverte du jardin, définit, constitue l’espace vague, l’espace depuis lequel l’objet focal de la représentation, la scène proprement dite, est regardé.    
Entre ces deux espaces, espace vague où se trouvent les vieillards et espace restreint où se trouve Suzanne, un parapet sculpté d’un bas-relief redouble dans la pierre l’écran de chevelure interposé par Suzanne. L’écran est la séparation, et en même temps l’articulation entre l’espace vague et l’espace restreint. Il est très difficile de deviner ce que représente le bas-relief. Juste au-dessus du molet de Suzanne, on distingue une femme agenouillée aux pieds d’un jeune homme (glabre) qui s’avance, les bras étendus vers un groupe d’hommes barbus, en grande discussion. On peut proposer l’hypothèse que le bas-relief représente le jugement de Suzanne et l’intervention du jeune Daniel.    
Ce qui est sûr en tous cas, c’est que ce muret qui matérialise spatialement l’interdit du regard (les vieillards sont derrière le muret parce qu’ils n’ont pas le droit de regarder Suzanne nue) porte dans le même temps de la représentation : l’écran est contradictoirement un instrument d’aveuglement et de visibilité.

Annotations :

1. Sous la gravure, à gauche « Peint par Joseph Cesari » (c’est-à-dire la Cavalier d’Arpin), au centre « Dessiné par Borel », à droite « Gravé par J. Bouillard ».
Sous la gravure figure le texte suivant :

« SUSANNE AU BAIN De la galerie de S. A. S. Monseigneur le duc d’Orléans. A. P. D. R. Ecole romaine. TABLEAU DE JOSEPH CESARI, DIT LE JOSEPIN. Peint sur Cuivre, ayant de hauteur 1 Pied 7 Pouces, sur 1 Pied 3 Pouces de large. Monseigneur le Duc d’Orléans ne possede que ce tableau de ce maître. Un coloris agréable, une grande délicatesse de pinceau, et un fini précieux se font remarquer dans ce tableau : mais le peintre y a négligé la perspective, comme on peut en juger en jettant les yeux sur l’estampe. Le château d’Arpinas où Joseph Cesari vit le jour en 1560, le fit surnommer par contraction Josepino en italien et Josepin en français. Il vint dès l’âge de treize ans à Rome où sa pauvreté le réduisit à servir les peintres qui travaillaient au Vatican. Il fit quelques essais qui méritèrent l’apprçobation des connaisseurs et qui lui obtinrent de la part du pape Grégoire XIII des moyens pour continuer ses études. On le chargea ensuite de plusieurs grands ouvrages, à Rome, dans le Capitole, et dans l’église de saint Jean de Latran, à Naples dans l’église des Chartreux. Il vint en 1600 en France où Henri IV le combla de présents et le fit Chevalier de Saint Michel. Sa manière opposée à celle de Caravage, dont il fut le rival et l’ennemi, lui fit d’abord plusieurs partisans : mais sa réputation qu’il avait en quelque sorte usurpée diminua beaucoup à sa mort arrivée à Rome en 1640. »

2. La toile de Suzanne au bain, par J. Cesari, correspond à la description donnée par Diderot à propos de la Suzanne de Vanloo du Salon de 1765. Elle a été gravée pour L.-A. de Bonafous, abbé de Fontenay, La Galerie du Palais-Royal, gravée d’après les tableaux des différentes écoles qui la composent, t. I, 1786, p. 36.

3. Une toile de Cesari correspondant à la gravure, qui aurait été peinte entre 1604 et 1608, est conservée à Sienne, Santa Maria della Scala.

Composition de l'image :
Objets :
Muret
La scène est observée par effraction
Fontaine
Bas de colonne(s)
Sources textuelles :
Daniel
13, 19-24 (Bible de Jérusalem, p. 1565)
Sujet de recherche :
S. Lojkine, L’Œil révolté, chap. 3, Le modèle théâtral

Informations techniques

Notice #001363

Image HD

Identifiant historique :
A0682
Traitement de l'image :
Scanner
Localisation de la reproduction :
Montpellier, Inst. de rech. sur la Renaissance l’âge classique & les Lumières