Ixion trompé par Junon - Rubens
Analyse
AprĂšs la rĂ©volte de son peuple, Ixion, roi des Lapithes, a Ă©tĂ© recueilli par Jupiter dont il est lâhĂŽte et lâĂ©chanson. Il cherche Ă sĂ©duire Junon. Celle-ci prĂ©vient Jupiter et envoie son simulacre Ă Ixion, afin que Jupiter puisse prendre Ixion en flagrant dĂ©lit sans que lâhonneur de la dĂ©esse soit entachĂ©. A gauche, Ixion embrasse la fausse Junon. A droite, la vraie Junon, reconnaissable au paon, dĂ©lĂšgue Ă la Ruse, reconnaissable Ă la peau de renard, le soin de manipuler son simulacre. Hymen (reconnaissable au flambeau) dĂ©tourne Junon (la vraie) dâIxion et la retourne vers Jupiter qui assiste songeur Ă la scĂšne. A gauche, la Discorde aux cheveux de serpents dĂ©signe Ixion et annonce le chĂątiment infernal.
La composition se lit comme une progression allĂ©gorique, de lâobscuritĂ© Ă gauche vers la lumiĂšre Ă droite. On va de la Discorde aux cheveux de serpent, en haut Ă gauche, et du dĂ©sordre des passions, vers lâordre de Jupiter, en haut Ă droite. Le point de basculement du monde des passions dĂ©chaĂźnĂ©es vers le rĂšgne de lâordre matrimonial et de la loi, câest la Ruse, qui occupe la position centrale.
La Ruse manipule la tĂȘte de la fausse Junon, des doigts de sa main droite, les yeux tournĂ©s vers la vraie Junon dont elle guette les ordres. La position de la vraie Junon est Ă©trange au 1er abord, mais sâexplique allĂ©goriquement : Junon se tient sa tĂȘte, câest elle-mĂȘme qui se gouverne, alors que la fausse Junon est gouvernĂ©e par autrui.
Nul ne doit regarder la mise en Ćuvre de la ruse (ce nâest donc pas Ă proprement parler une scĂšne) : câest pourquoi la divinitĂ© de la Ruse se prĂ©pare Ă envelopper les amants dâune Ă©toffe rouge. Junon se dĂ©tourne, elle est entraĂźnĂ©e par Hymen vers Jupiter. Mais plusieurs indices nous suggĂšrent quâelle nâa pas Ă©tĂ© insensible Ă la tentation : le voile rouge reflĂšte sa couleur Ă la fois sur le bas ventre dâIxion et sur les fesses de la vraie Junon ; il les relie donc subrepticement. Dâautre part, Junon, qui est dĂ©jĂ partie rejoindre Jupiter, tourne la tĂȘte vers Ixion, peut-ĂȘtre pas jusquâĂ le voir, mais bien dans un mouvement de regret, ou au moins de connivence avec la Ruse qui guette ses ordres. Ruse pour qui ? Ruse pour quoi ?
La fausse Junon intrigue au premier abord : pour une nuĂ©e, elle paraĂźt bien en chair. On opposera cependant sa peau blanche, oĂč le rouge de lâĂ©toffe que tend la Ruse ne se reflĂšte pas, au rose et au rouge de la vraie Junon. Son regard dâautre part est vide : câest un regard de poupĂ©e, câest lâĆil apparemment mort dâun piĂšge vivant.
La composition de ce tableau, dont le sujet est rare, est par ailleurs peut-ĂȘtre contaminĂ©e par celui plus courant du jugement de PĂąris : un homme, Ixion Ă gauche, est place face Ă trois dĂ©esses, la fausse Junon, la ruse et la vraie Junon. Curieusement, câest Ă VĂ©nus que la vraie Junon accompagnĂ©e de son putto ressemble, tandis que la Ruse emprunte Ă Minerve et que la fausse Junon prend lâair froid et presque sĂ©vĂšre qui devrait ĂȘtre celui de la vraie.
2. Vente De Amory, Amsterdam, 1722.
En 1766, le tableau appartenait à Sir Gregory Page Turner. Il fut acquis par M. Agar Welbore Ellis, du fils de ce dernier propriétaire, et passa ensuite dans la collection du comte de Grosvenor.
Collection du duc de Westminster au XIXe siĂšcle, Londres, Grosvenor House ;
legs du baron Basile de Schlichting au Musée du Louvre, Paris, 1914.
3. Hogarth mentionne un Junon et Ixion du CorrĂšge : « Mais câest dans les ouvrages du CorrĂšge que le principe de la ligne serpentine paraĂźt le mieux entendu, surtout dans son tableau de Junon et Ixion, quoique dâailleurs les proportions de ses figures soient quelquefois si mauvaises, quâun peintre dâenseignes pourrait les dessiner mieux. » (PrĂ©face de lâAnalyse de la beautĂ©, ensb-a, p. 34.)
Le sujet a également été peint par Christiaen van Couwenbergh (musée du Louvre, RF3772).
ThĂ©ophile de Viau a consacrĂ© un poĂšme Ă Ixion, publiĂ© dans divers recueils satiriques de son vivant (mais pas dans ses Ćuvres) :
Je songeais que Philis des Enfers revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
Voulait que son fantĂŽme encore fĂźt lâamour
Et que comme Ixion jâembrassasse une nue.
Son ombre dans mon lit se glissa toute nue
Et me dit : Cher Tircis, me voici de retour,
Je nâai fait quâembellir en ce triste sĂ©jour
OĂč depuis ton dĂ©part le sort mâa retenue.
Je viens pour rebaiser le plus beau des amants,
Je viens pour remourir dans tes embrassements.
Alors, quand cette idole eut abusé ma flamme
Elle me dit : Adieu, je mâen vais chez les morts.
Comme tu tâes vantĂ© dâavoir foutu mon corps,
Tu pourras te vanter dâavoir foutu mon Ăąme.
Informations techniques
Notice #000872