Auguste fait fermer les portes du temple de Janus - Carle Vanloo
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Analyse
Livret du Salon de 1765Â :
« Par feu M. Carle Vanloo, premier Peintre du Roi, Chevalier de son Ordre, Directeur de lâAcadĂ©mie Royale de Peinture & de Sculpture, Directeur de lâEcole Royale des ElĂšves protĂ©gĂ©s.
N°1. Auguste fait fermer les portes du Temple de Janus.
Ce Tableau, de 9 pieds 8 pouces de haut sur 8 pieds 4 pouces de large, est destiné pour ma Galerie de Choisy. »
Mercure de France, octobre 1765, p. 145 :
« Dans le nombre des restes prĂ©cieux de lâArtiste que nous regrettons, le morceau le plus apparent reprĂ©sente Auguste, faisant fermer les portes du Temple de Janus (3). La composition de ce tableau est riche, bien ordonnĂ©e & rĂ©pond Ă la grandeur du sujet. Nous avons entendu quelques reproches sur le nombre & le volume des objets relativement Ă lâespace de la scĂšne. Cette critique est-elle fondĂ©e si, comme on ne peut le contester, il passe assez dâair entre chaque figure, pour que lâĆil puisse y tourner facilement ? Dailleurs il est Ă considĂ©rer que pour bien reprĂ©senter cette importante cĂ©rĂ©monie, la multitude de figures Ă©toit indispensable, que lâĂ©tendue de la toile Ă©toit obligĂ©e, que le choix du sujet ne lâĂ©toit pas moins, & que ce sujet est de la plus heureuse analogie au lieu pour lequel il est destinĂ©, & au Monarque qui lâhabite (4). Nous sommes (ainsi que beaucoup de connoisseurs consultĂ©s) trĂšs-Ă©loignĂ©s de trouver du froid dans cette composition, ainsi quâon le hasarde dans une brochure (5). Tous les personnages de cette scĂšne ont le mouvement & lâexpression quâils doivent avoir. Lâaction des PrĂȘtres qui ferment les portes du Temple, est suffisamment animĂ©e ; celle de la foule des spectateurs, est relative au sentiment de joie & dâadmiration dans lequel ils doivent ĂȘtre. La circonstance que le peintre avoit Ă mettre sous nos yeux, Ă©toit sans doute une des plus augustes & des plus considĂ©rables dans lâEmpire Romain ; mais le cĂ©rĂ©monial extĂ©rieur ne comportoit pas plus de jeu dans les figures, & lâArtiste a mĂȘme ajoutĂ© des accessoires qui lâaniment & lâenrichissent. Câest cette raison qui doit faire tolĂ©rer lâespĂšce dâinaction quâon reproche dans la figure dâAuguste. Nous ne voulons pas risquer dâexaminer sâil Ă©toit possible de lui donner plus dâintĂ©rĂȘt, & de lier davantage son expression Ă lâaction du sujet. On sâaccorde unaniment sur la vĂ©ritĂ© & sur lâharmonie du coloris dans ce tableau, ainsi que sur lâexactitude du costume. En gĂ©nĂ©ral il a fixĂ© lâattention des spectateurs, il attiroit les regards, & lâeffet en a paru trĂšs-satisfaisant. On peut avancer avec confiance que cette production posthume, dâun des meilleurs Peintres de notre Ăąge, ne dĂ©rogera jamais Ă la rĂ©putation de son Auteur, ni Ă lâhonneur de sa destination.
(3) Ce tableau est de neuf pieds huit pouces de haut sur huit pieds quatre pouces de large. Feu M. Carle Vanloo y travailloit lorsque la mort est venu lâenlever Ă lâEcole Françoise. Il a Ă©tĂ© fini par M. Michel Vanloo son neveu.
(4) Ce tableau est pour la galerie de Choisy.
(5) Cette brochure est intitulée : Lettres à M**. sur les ouvrages de Peinture, &c.
Commentaire de Diderot, Salon de 1765 :
A droite de celui qui regarde, le temple de Janus placĂ© de maniĂšre quâon en voit les portes. Au-delĂ des portes, contre la façade du temple, la statue de Janus sur un piĂ©destal. En deçà , un trĂ©pied avec son couvercle, Ă terre. Un prĂȘtre vĂȘtu de blanc, les deux mains passĂ©es dans un gros anneau de fer, ferme les portes couvertes en haut, en bas et dans leur milieu, de larges bandes de tĂŽle. A cĂŽtĂ© de ce prĂȘtre, plus sur le fond, deux autres prĂȘtres vĂȘtus comme le premier. En face du prĂȘtre qui ferme, un enfant portant une urne, et regardant la cĂ©rĂ©monie. Au milieu de la scĂšne, et sur le devant, Auguste seul, debout, en habit militaire, en silence, une branche dâolivier Ă la main. Aux pieds dâAuguste, sur le mĂȘme plan, un enfant, un genou en terre, une corbeille sur son autre genou, et tenant des fleurs. DerriĂšre lâempereur, un jeune prĂȘtre dont on ne voit presque que la tĂȘte. Sur la gauche, Ă quelque distance, une troupe mĂȘlĂ©e de peuple et de soldats. Du mĂȘme cĂŽtĂ©, tout Ă fait Ă lâextrĂ©mitĂ© de la toile, et sur le devant un sĂ©nateur vu par le dos et tenant un rouleau de papier. VoilĂ ce quâil plaĂźt Ă Vanloo dâappeler une fĂȘte publique. Il me semble que le temple nâĂ©tant pas ici un pur accessoire, une simple dĂ©coration de fond, il fallait le montrer davantage et nâen pas faire une fabrique pauvre et mesquine. Ces bandes de fer qui couvrent les portes, sont larges et de bon effet. Pour ce Janus, il a lâair de deux mauvaises figures Ă©gyptiennes accolĂ©es. Pourquoi plaquer ainsi contre un mur le saint du jour. Ce prĂȘtre qui tire les portes, les tire Ă merveille ; il est beau dâaction, de draperie et de caractĂšre. Jâen dis autant de ses voisins. Les tĂȘtes en sont belles, peintes dâune maniĂšre grande, simple et vraie. La touche en est mĂąle et forte. Sâil y a un autre artiste capable dâen faire autant, quâon me le nomme. Le petit porteur dâurne est lourd, et peut-ĂȘtre superflu. Cet autre qui jette des fleurs est charmant, bien imaginĂ©, et on ne peut mieux ajustĂ©. Il jette ses fleurs avec grĂące, et trop de grĂące peut-ĂȘtre : on dirait de lâAurore qui les secoue du bout de ses doigts. Pour votre Auguste, monsieur Vanloo, il est misĂ©rable. Est-ce quâil ne sâest pas trouvĂ© dans votre atelier un Ă©lĂšve qui ait osĂ© vous dire quâil Ă©tait raide, ignoble et court ; quâil Ă©tait fardĂ© comme une actrice, et que cette draperie rouge dont vous lâavez chamarrĂ©, blessait lâart et dĂ©saccordait le tableau. Cela, câest un empereur ! Avec cette longue palme quâil tient collĂ©e contre son Ă©paule gauche, câest un quidam de la confrĂ©rie de JĂ©rusalem qui revient de la procession. Et ce prĂȘtre que jâaperçois derriĂšre lui, que me veut-il avec son coffret et son action niaise et gĂȘnĂ©e ? Ce sĂ©nateur embarrassĂ© de sa robe et de son papier, qui me tourne le dos, figure de remplissage que lâampleur de son vĂȘtement par en bas rend mince et fluet par en haut. Et le tout que signifie-t-il ? oĂč est lâintĂ©rĂȘt ? oĂč est le sujet ? Fermer le temple de Janus, câest annoncer une paix gĂ©nĂ©rale dans lâempire, une rĂ©jouissance, une fĂȘte ; et jâai beau parcourir la toile, je nây vois pas le moindre vestige de joie. Cela est froid ; cela est insipide ; tout est dâun silence morne, dâun triste Ă pĂ©rir. Câest un enterrement de vestale. Si jâavais eu ce sujet Ă exĂ©cuter, jâaurais montrĂ© le temple davantage. Mon Janus eĂ»t Ă©tĂ© grand et beau. Jâaurais placĂ© un trĂ©pied Ă la porte du temple ; de jeunes enfants couronnĂ©s de fleurs y auraient brĂ»lĂ© des parfums. LĂ , on aurait vu un grand prĂȘtre vĂ©nĂ©rable dâexpression, de draperie et de caractĂšre. DerriĂšre ce prĂȘtre, jâen aurais groupĂ© quelques autres. Les prĂȘtres ont Ă©tĂ© de tout temps observateurs jaloux des souverains ; ceux-ci auraient cherchĂ© Ă dĂ©mĂȘler ce quâils avaient Ă craindre ou Ă espĂ©rer du nouveau maĂźtre. Jâaurais attachĂ© sur lui leurs regards attentifs. Auguste, accompagnĂ© dâAgrippa et de MĂ©cĂšne, aurait ordonnĂ© quâon fermĂąt le temple ; il en aurait eu le geste. Les prĂȘtres, les mains passĂ©es dans lâanneau, auraient Ă©tĂ© prĂȘts Ă obĂ©ir. Jâaurais assemblĂ© une foule tumultueuse de peuple, que les soldats auraient eu bien de la peine Ă contenir. Jâaurais voulu surtout que ma scĂšne fĂ»t bien Ă©clairĂ©e. Rien nâajoute Ă la gaietĂ© comme la lumiĂšre dâun beau jour. La procession de Saint-Sulpice ne serait pas sortie par un temps sombre et nĂ©buleux comme celui-lĂ . Cependant si dans lâabsence de lâartiste le feu eĂ»t pris Ă cette composition, et nâeĂ»t Ă©pargnĂ© que le groupe des prĂȘtres, et quelques tĂȘtes Ă©parses par-ci, par-lĂ , nous nous serions tous Ă©criĂ©s Ă lâaspect de ces prĂ©cieux restes : Quel dommage !
Lâespace restreint de la scĂšne est dĂ©limitĂ© au devant par les marches du temple de Janus, quâun jeune homme parsĂšme de fleurs, Ă lâarriĂšre par les premiers spectateurs de la scĂšne : Ă gauche, un sĂ©nateur; derriĂšre Auguste Ă gauche un jeune serviteur du temple en blanc ; sur la droite, un prĂȘtre.
Cette scĂšne thĂ©Ăątrale ainsi dĂ©limitĂ©e est occupĂ©e par Auguste, qui tient ici le discours de la paix : la peinture peint donc le discours politique dâAuguste, qui est signifiĂ© par le double geste de ses mains, la branche dâolivier Ă gauche, lâindex dĂ©signant la porte fermĂ©e du temple Ă droite.
La statue de Janus surplombe lâespace restreint de la scĂšne : lâune des tĂȘtes regarde Auguste, lâautre â la foule des Romains assemblĂ©s dans le fond. Janus Ă©tablit donc un relais entre le premier et lâarriĂšre plans. De mĂȘme Auguste, de ces deux mains, amĂšne en fait les sĂ©nateurs, Ă gauche, Ă consentir Ă la paix, Ă la porte fermĂ©e Ă droite : il Ă©tablit donc lui aussi, de la gauche vers la droite cette fois, un relais.
Deux logiques sĂ©miologiques sont donc Ă lâĆuvre dans ce tableau : au premier plan, la marche Ă©tablit lâespace thĂ©Ăątral, restreint de la scĂšne et identifie la surface de la toile Ă un 4e mur invisible, un Ă©cran, que lâĆil franchit pour pĂ©nĂ©trer dans la profondeur de la reprĂ©sentation. Cette frontiĂšre invisible est redoublĂ©e Ă lâarriĂšre-plan, par lâĂ©crab humain que forment les premiers spectateurs. De lâautre cĂŽtĂ© de ce second Ă©cran, Janus observe la scĂšne, mĂ©taphorisant depuis le fond du tableau le regard que nous, spectateurs, portons au devant de lui.
A ce systĂšme dâĂ©cran-coupure se superpose un autre systĂšme dâĂ©cran-continuum, instaurant des relais, faisant communiquer les espaces : Auguste fait communiquer la gauche avec la droite du tableau, fait acquiescer les sĂ©nateurs Ă sa politique de paix, tandis que Janus fait communiquer le devant avec le fond du tableau, fait participer la foule invisible au discours qui se tient au premier plan.
2. Inachevé, terminé par Michel Van Loo. 3. Le sujet avait été peint par Sylvestre et exposé au Salon de 1757 (n°1 du Livret).
Informations techniques
Notice #000788