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Pygmalion et Galatée (version de Baltimore) - Falconet

SĂ©rie de l'image :
Date :
1763
Nature de l'image :
Sculpture en marbre
Dimensions (HxL cm) :
58,5x40x29 cm
27.387

Analyse

Livret du Salon de 1763 :

« Par M. Falconet, Professeur.
164. Une Figure de marbre, représentant la douce Mélancolie.
165. Un Grouppe de marbre, reprĂ©sentant Pigmalion aux pieds de sa Statue, Ă  l’instant oĂč elle s’anime. »

Mathon de La cour, lettre IV, p. 78 :

« M. FALCONET, qui avoit donnĂ© Ă  l’AcadĂ©mie, pour sa rĂ©ception, ce beau Milon que vous connoissez, ne rĂ©ussit pas moins, Madame, Ă  exprimer la tendresse & le bonheur. Il a fait exposer un grouppe de marbre qui reprĂ©sente Pygmalion aux pieds de sa statue, dans l’instant oĂč elle s’anime. Figurez-vous, Madame, une statue parfaitement belle dans ses formes & ses proportions[.] L’Amour porte la bouche sur une de ses mains, & s’efforce de lui donner la vie par son souffle enflammĂ© ; la statue paroĂźt s’animer : elle souleve tant soit peu ses bras, & les tourne [79] tendrement vers son auteur. Pygmalion transportĂ©, est dans l’attitude d’un homme Ă  genoux qui se leve : l’étonnement & l’amour paroissent dans sa tĂȘte & dans tous ses mouvemens : je crois qu’il Ă©toit impossible de rendre ce trait de la Fable d’une maniere plus tendre, plus ingĂ©nieuse & plus dĂ©licate. Ceux mĂȘmes qui n’ont jamais aimĂ©, comprennent, en voyant ce morceau, ce que ce peut ĂȘtre pour un amant, que l’instant ou une femme insensible s’attendrit ; cet instant qu’on n’oublie jamais, oĂč son cƓur s’ouvre au sentiment, & oĂč ses yeux embarrassĂ©s commencent Ă  l’exprimer. »

Mercure de France, novembre 1763 :

« M . Falconet.
Le Groupe de marbre, qui a si singuliĂ©rement attirĂ© l’admiration de tout le Public, reprĂ©sente Pigmalion aux pieds de sa Statue dans le moment qu’elle s’anime. Un petit Amour qui a la bouche sur un des bras de cette figure, semble ĂȘtre la source & l’auteur du feu qui lui dnne l’ñme & dont par le plus agrĂ©able des prestiges, l’Art indique aux yeux du Spectateur le sprogrĂšs du souffle embrĂąsĂ© de cet Amour. C’est cette distinction des parties dĂ©ja animĂ©es de la statue d’avec celles qui ne sont encore que matiĂšre, qui paroissoit rendre ce sujet supĂ©rieur aux possibilitĂ©s de l’art, & qu’en effet nous ne sçavons pas avoir Ă©tĂ© traitĂ© en Sculpture prĂ©cĂ©demment par aucun MaĂźtre antique ou moderne.
Plus on considĂšre ce Groupe, plus on y remarque, aevc surprise, dans la statue de la femme, une expression si juste & si habilement saisie, quelle prĂ©sente les nuances dĂ©licates de l’étonnement, du mouvement, presque insensible dans ses effets, & des premiers sentimens d’un Etre qui tient la vue du pouvoir de l’Amour & reçoit en mĂȘme temps toutes le spassions, si douces dans leur naissance, qui rĂ©sutent de ses premiers feux. Le sentiment naÎf et fidĂšle d’oĂč provient l’intĂ©rĂȘt, la simplicitĂ© du caracĂšre de dessein, l’unitĂ© (si l’on peut dire) suave du trait, distinguent Ă©minemment cette charmante figure. Telle est par rapport Ă  cet objet la foible idĂ©e que nous pouvons donner de l’art du Sculpteur. Dans la figure de Pigmalion, cet art n’est pas moins Ă©loquent. Il est, comme nous l’avons dĂ©ja dit, aux pieds de la statue ; on sent Ă  sa position le mouvement par lequel il est prĂȘt Ă  s’élancer vers elle ; ses deux mains sont serrĂ©es lune dans l’autre, action naturelle Ă  sa situation & qui marque en mĂȘme temps & le prodige & le sentiment qui en rĂ©sute. La joie, la srprise & l’amout sont exprimĂ©s avec un tel enthousiasme, dans ce Pigmalion, qu’on doute si ce n’est pas plutĂŽt par ses regards que la statue est animĂ©e, que par le pouvoir surnaturel des Dieux qu’il invoque. L’action du petit Amour, sur la statue, est un de splus heureux traits de l’invention. C’est par ce moyen que l’Artiste a trĂšs-bien supplĂ©Ă© Ă  celui que pourroit employer la Peinture, & qui sembloit manquer Ă  la Sculpture. Il a rendu plus sensible l’effet par la cause, & moyennant cet Amour, on apperçoit plus clairement encore le changement de la matiĂšre en une figure animĂ©e. En un mot, on ne prendra qu’une idĂ©e juste de ce Grouppe, en se figurat voir rĂ©aliser la fable mĂȘme qu’il reprĂ©sente. » (p. 208-210)

Commentaire de Diderot :

« O la chose prĂ©cieuse que ce petit groupe de Falconet  ! VoilĂ  le morceau que j’aurais dans mon cabinet, si je me piquais d’avoir un cabinet. Ne vaudrait-il pas mieux sacrifier tout d’un coup  ?... Mais laissons cela. Nos amateurs sont des gens Ă  breloques ; ils aiment mieux garnir leurs cabinets de vingt morceaux mĂ©diocres que d’en avoir un seul et beau.
Le groupe prĂ©cieux dont je veux vous parler, il est assez inutile de vous dire que c’est le Pygmalion aux pieds de sa statue qui s’anime. Il n’y a que celui-lĂ  au Salon, et de longtemps il n’aura de second.
La nature et les GrĂąces ont disposĂ© de l’attitude de la statue. Ses bras tombent mollement Ă  ses cĂŽtĂ©s ; ses yeux viennent de s’entrouvrir ; sa tĂȘte est un peu inclinĂ©e vers la terre ou plutĂŽt vers Pygmalion qui est Ă  ses pieds  ; la vie se dĂ©cĂšle en elle par un souris lĂ©ger qui effleure sa lĂšvre supĂ©rieure. Quelle innocence elle a  ! Elle est Ă  sa premiĂšre pensĂ©e  : son cƓur commence Ă  s’émouvoir, mais il ne tardera pas Ă  lui palpiter. Quelles mains  ! quelle mollesse de chair  ! Non, ce n’est pas du marbre  ; appuyez-y votre doigt, et la matiĂšre qui a perdu sa duretĂ© cĂ©dera Ă  votre impression. Combien de vĂ©ritĂ© sur ces cĂŽtes  ! quels pieds  ! qu’ils sont doux et dĂ©licats  !
Un petit Amour a saisi une des mains de la statue qu’il ne baise pas, qu’il dĂ©vore. Quelle vivacité  ! quelle ardeur  ! Combien de malices dans la tĂȘte de cet Amour  ! Petit perfide, je te reconnais  ; puissĂ©-je pour mon bonheur ne te plus rencontrer.
Un genou en terre, l’autre levĂ©, les mains serrĂ©es fortement l’une dans l’autre, Pygmalion est devant son ouvrage et le regarde ; il cherche dans les yeux de sa statue la confirmation du prodige que les dieux lui ont promis. O le beau visage que le sien  ! O Falconet  ! comment as-tu fait pour mettre dans un morceau de pierre blanche la surprise, la joie et l’amour fondus ensemble  ? Émule des dieux, s’ils ont animĂ© la statue, tu en as renouvelĂ© le miracle en animant le statuaire.
Viens, que je t’embrasse ; mais crains que, coupable du crime de PromĂ©thĂ©e, un vautour ne t’attende aussi.
Le philosophe fait allusion ici au penchant Ă  la jalousie dont Falconet ne paraĂźt pas ĂȘtre exempt et qu’il est plus cruel de nourrir qu’un vautour. Au reste, si aprĂšs le grand succĂšs que ce morceau a eu au Salon il Ă©tait permis Ă  un ignorant d’élever sa timide voix, je dirais que la figure de Pygmalion ne m’a pas paru aussi belle d’expression que le philosophe le dit ici. Elle m’a paru prĂ©cisĂ©ment aussi infĂ©rieure Ă  la statue qui s’anime que la figure de Joseph l’est Ă  la femme de Putiphar dans le tableau de Deshays. Sans compter que la maniĂšre dont ce morceau est composĂ© nuit Ă  l’effet, puisqu’on ne peut voir le visage de la statue et celui du statuaire en mĂȘme temps. Mais laissons achever le philosophe.
Toute belle que soit la figure de Pygmalion, on pouvait la trouver avec du talent ; mais on n’imagine point la tĂȘte de la statue sans gĂ©nie.
Le faire du groupe entier est admirable. C’est une matiĂšre une dont le statuaire a tirĂ© trois sortes de chairs diffĂ©rentes. Celles de la statue ne sont point celles de l’enfant, ni celles-ci les chairs du Pygmalion.
Ce morceau de sculpture est trĂšs parfait. Cependant, au premier coup d’Ɠil, le cou de la statue me parut un peu fort ou sa tĂȘte un peu faible ; les gens de l’art ont confirmĂ© mon jugement. Oh  ! que la condition d’un artiste est malheureuse  ! Que les critiques sont impitoyables et plats  ! Si ce groupe enfoui sous la terre pendant quelques milliers d’annĂ©es venait d’en ĂȘtre tirĂ© avec le nom de Phidias en grec, brisĂ©, mutilĂ© dans les pieds, dans les bras, je le regarderais en admiration et en silence.
En mĂ©ditant ce sujet, j’en ai imaginĂ© une autre composition que voici  :
Je laisse la statue telle qu’elle est, exceptĂ© que je demande de droite Ă  gauche son action exactement la mĂȘme qu’elle est de gauche Ă  droite.
Je conserve au Pygmalion son expression et son caractĂšre, mais je le place Ă  gauche : il a entrevu dans sa statue les premiers signes de vie. Il Ă©tait alors accroupi ; il se relĂšve lentement, jusqu’à ce qu’il puisse atteindre Ă  la place du cƓur. Il y pose lĂ©gĂšrement le dos de sa main gauche, il cherche si le cƓur bat ; cependant ses yeux attachĂ©s sur ceux de sa statue attendent qu’ils s’entrouvrent. Ce n’est plus alors la main droite de la statue, mais la gauche que le petit Amour dĂ©vore.
Il me semble que ma pensĂ©e est plus neuve, plus rare, plus Ă©nergique que celle de Falconet. Mes figures seraient encore mieux groupĂ©es que les siennes, elles se toucheraient. Je dis que Pygmalion se lĂšverait lentement  ; si les mouvements de la surprise sont prompts et rapides, ils sont ici contenus et tempĂ©rĂ©s par la crainte ou de se tromper, ou de mille accidents qui pourraient faire manquer le miracle. Pygmalion tiendrait son ciseau de la main droite et le serrerait fortement ; l’admiration embrasse et serre sans rĂ©flexion ou la chose qu’elle admire ou celle qu’elle tient. » (CFL V 463-4 ; Versini, p. 286-7.)

Annotations :

2. La statue de 1763 fut achetĂ©e par Thiroux d’Epersenne.
Cette statue a été acquise par Henry Walters en 1924.

3. Le musĂ©e du Louvre possĂšde Ă©galement un Pygmalion et GalatĂ©e de Falconet, qu’il revendique comme celui exposĂ© au Salon de 1763.

Objets :
Statue
Sources textuelles :
Ovide, Métamorphoses, 10 (Orphée/GanymÚde/Pygmalion/Atalante&HippomÚne)
vv. 243-297
Sujet de recherche :
Julie GiniĂšs, Le Salon de 1763 de Diderot, genĂšse d’une mĂ©thode

Informations techniques

Notice #000744

Image HD

Identifiant historique :
A0063
Traitement de l'image :
Image web
Bibliographie :
Michael Levey, L’Art du XVIIIe siùcle, Flammarion, 1993
n° 135, p. 134